La politique et l'abstraction

Depuis la fin de la Guerre froide, on a avancé la thèse selon laquelle l'humanité entrait désormais dans une ère post-historique qui serait caractérisée par la fin des idéologies et, par conséquent, par la fin de la politique telle qu'elle avait existé depuis les Lumières et, notamment, depuis la Révolution française : l'humanité aurait ainsi atteint, dans le libéralisme économique et politique, le stade ultime de son développement. Ce même courant intellectuel oppose le pragmatisme et le réalisme du libéralisme à l'utopisme du communisme, mais aussi à l'utopisme de tous les grands projets de l'émancipation de l'homme. Ces-derniers seraient, le communisme en premier lieu, des tentatives de plaquer des concepts abstraits sur le réel, par opposition à la modération de la Raison libérale. On prône ainsi, en se référant à l'histoire du XX siècle, un abandon de l'abstrait en politique pour lui substituer la modestie de la raison, voire la substitution de la gestion techniciste à la politique à proprement parler.

Cependant, on peut discuter ces thèses : l'abstraction est-elle propre aux certains mouvements politiques, comme le voudraient les idéologues de la fin des idéologies, où bien s'agit-il là de l'essence-même de la politique, phénomène que l'on peut supposer fondé sur des principes premiers abstraits (l'humanité, le bien commun etc.) ? Il s'agira, dans cette étude, d'étudier la place de l'abstraction dans la politique, ainsi que d'en interroger les limites, pour tenter de répondre à la question suivante : la politique est-elle encore possible dans un monde prétendument post-idéologique ?